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Ninja Chouket et le Mange-doudou
Chapitre 5
Diamant donnait ses dernières recommandations à Iris :
— Souviens-toi bien des techniques que tu as apprises. Elles te seront utiles face au Mange-Doudou. Et surtout, ne le laisse pas te faire peur.
— Oui ! Allez ! C’est parti !
Décidément, l’enthousiasme des enfants facilite vraiment l’histoire. Imaginez qu’on demande à un adulte d’aller combattre un monstre ancestral après avoir eu comme seul entraînement l’ascension d’un escalier en tenue de ninja rose bonbon. Pas sûr qu’il soit très chaud.
— Attends Iris, prend le vanity-case enchanté. Enferme le Mange-Doudou à l’intérieur.
La louve verte tendit la valisette mauve à la fillette rose. Cette dernière s’en saisit et la glissa dans sa tenue.
— Allez viens Diamant, on va rencontrer le Mange-Doudou. Ninja ! s’écria Iris.
— Malheureusement, je ne vais pas pouvoir t’accompagner.
— Ah bon, pourquoi ?
— Aujourd’hui c’est Chaperon-Rouge, les louveteaux et moi sommes invités dans le bois des voisins.
— Chaperon rouge, c’est une histoire ? s’enquit la fillette.
— Pour nous, les loups, c’est un jour de fête et non un conte populaire. On se déguise en méchant-loup et on mange des petits enfants en sucre. Des fois on dévore des vrais mais c’est seulement ceux qui ne sont pas sages.
— Alors j’y vais, Diamant. Joyeux Chaperon-Rouge !
— Merci, bonne chance avec le…
Déjà, la mini ninja avait disparu.
Gestion des décors… Pouf : le Temple des chouketins.
La petite montagne ainsi que le temple étaient identiques à la dernière fois. Néanmoins, les couleurs étaient ternes, fades. Un souffle glacé tournoyait dans les lieux à présent enneigés. L’ambiance était inquiétante, genre western de glace avec des ninjas et des monstres cruels mangeurs d’innocentes mignonnes peluches.
Iris s’approcha aussi discrètement qu’un ninja de trois ans (et demi) peut le faire. Elle fut immédiatement repérée. Le Mange-Doudou apparut alors et se leva menaçant, imposant. Il était sombre et partiellement indéfini. Ses yeux étaient terrifiants, chargés de méchanceté et de folie. Depuis sa longue et grande gueule noire, pendait un morceau de tissu informe d’où s’échappaient des paquets de duvets cotonneux. Le monstre était en train de dévorer une proie saignante de mousse.
La petite fille reconnut le doudou juste avant que le monstre ne l’engloutisse.
— Non ! C’est Amelomelopé ! C’est mon doudou ! Rends-le moi ! », cria-t-elle de colère.
Le Mange-Doudou déglutit et s’avança lentement vers le petit ninja rose. Puis, il éclata d’un rire pétrifiant.
— Technique Panda ! annonça Iris en s’élançant tel un adorable petit panda aux petites pattes mignonnes.
Mais le Mange-Doudou connaissait très bien les techniques des moines chouketins. Il rit de plus belle.
— Ah ! Ah ! Ah ! Qu’est-ce que tu crois faire avec une technique que j’ai moi-même inventée ? demanda-t-il de sa voix grave digne des plus grands méchants.
— Non ! C’est pas vrai ! C’est pas toi qui l’as inventé, c’est Diamant ! Tu dis n’importe quoi !
Iris fronçait les sourcils comme quand elle ne veut pas manger. Elle était déterminée.
En face d’elle, le Mange-Doudou devenait de plus en plus imposant et menaçant. Le temple et les beaux jardins autour ressemblaient à présent à une inquiétante église gothique cernée d’un lugubre cimetière. La peur était omniprésente. La terreur grandissait. Iris doutait, des milliers de questions traversèrent son esprit. Elle se reprit, pas le temps de se demander si la vanille et la moutarde s’accordent ensemble.
La petite fille fit jaillir le vanity-case enchanté et cria la formule pour y enfermer le Mange-Doudou : « Un-sasseursaçansasséçansonsien-sasseçuperbien ! »
Des tourbillons violets jaillirent de la valisette mauve et enveloppèrent le sombre monstre. Ce dernier se débattit de son mieux tout en poussant de puissants grognements. Mais la tornade l’aspira inexorablement vers les profondeurs sans fins de l’intérieur capitonné du vanity-case.
— NON ! Attends ! supplia le Mange-Doudou, si je disparais Amelomelopé sera emporté avec moi et tu ne reverras plus jamais ton doudou !
— Quoi ?
Mais la petite fille n’eut le temps de rien faire. Tout ce froid et ce vent glacial avaient ouvert la porte à de tenaces microbes.
« Atchoum ! » L’éternuement sortit instantanément la petite fille du monde imaginaire. En ce tout premier instant de réveil, celui qui succède au sommeil et précède à la conscience. Avant que les premiers cris ne réveillent papa ou maman ou les deux ou les voisins. Avant même qu’elle ne se demande ce qui avait bien pu advenir du Mange-Doudou. Là, au cœur du petit lit de bébé, sous les chaudes couvertures, bien à l’abri dans les sinus de la fillette, la plus horrible crève de l’année venait tout juste de naître. Plus tard, après plusieurs semaines d’incubation, le germe se répandra comme une tâche d’huile au sein de la population humaine. La liste des gens qui seront touchés n’en fini pas de s’agrandir : papa, maman, papi, mamie, l’autre mamie, tonton, tatie, tata, tonton, l’autre tonton…
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Chapitre 6
Iris ne s’était pas rendormie cette nuit là. Elle était persuadée que le Mange-Doudou avait réussi à s’échapper une nouvelle fois. Elle devait organiser ses défenses. Elle réunit tous ses doudous en cellule de crise pour leur faire part de la situation.
— Mes chers doudou, l’heure est grave ! (je sais qu’on n’est pas dans le monde imaginaire mais je retranscris quand même en langage universel parce que sinon on s’en sort plus). Je suis dans l’obligation de déclarer la chambre en état d’urgence. Pour la sécurité de tout le monde je décrète l’application du plan vigi-doudou. »
Les réactions furent vives dans l’assemblée.
— C’est quoi vigi-doudou ? demanda un petit tigre blanc et gris tout à fait adorable.
— C’est un plan pour se protéger de toutes les incursions de monstres. Toi Tigrounou et toi Le Fennec, vous allez former la brigade de surveillance. Tous les autres, vous restez groupés et vous vous tenez informés de la situation sur la télé-doudou. Amelomelopé vient d’être enlevé, il ne faut pas que le Mange-Doudou revienne.
Encore une fois, les réactions de l’assemblée furent vives.
— Qu’est-ce qu’on doit faire mon général ? demanda Le Fennec qui était déjà à moitié dans le monde imaginaire.
— Il faut surveiller et sécuriser toutes les entrées que le monstre est susceptible d’utiliser, proposa Iris qui agissait en chef ninja.
— Mais il y en a beaucoup trop ! remarqua Tigrounou judicieusement.
En effet, les coins sombres de la pièce, les ombres indécises projetées dans les coins, les placards et les armoires étaient autant de brèches par lesquelles les monstres du monde imaginaire pouvaient aisément s’infiltrer.
Iris passa le reste de la nuit à organiser le vigi-doudou. Elle dut se résoudre à attendre la sieste de l’après-midi pour retourner voir ce qu’il était advenu du Mange-Doudou. Inutile de préciser que la petite fille fut extrêmement « contraignante » durant toute la matinée et que le repas de midi fut une véritable purge pour les autres convives.
Lorsqu’elle retourna enfin dans le monde imaginaire, la petite fille fut frappée par l’ambiance cauchemardesque qui régnait. Partout les décors étaient ternes, les senteurs étaient fades. Le petit bois-à-loup semblait avoir subi un hiver soudain. Il n’était plus teinté que de bruns et de gris. Les ramifications nues des arbres rendaient les lieux plus inquiétants encore qu’ils ne l’étaient.
Iris dans sa combinaison rose bonbon de ninja chouket évoluait prudemment dans cette ambiance de cauchemar. Elle entra dans la petite clairière où les cinq louveteaux verts étaient blottis les uns contres les autres. Ils s’étaient installés dans le creux d’une souche.
— Qu’est-ce qui se passe ? Où est Diamant ? demanda Iris en s’approchant.
— Maman est partie à la rencontre du Mange-Doudou, répondit un petit dont la tête dépassait à présent de la masse verte et douce.
— Il faut que j’y aille ! Ninja !
Ah, l’entrain naturel des enfants…
— Non, attends !
— Quoi ? Qui ?...
Le louveteau reprit :
— Maman a dit que tu dois pas la rejoindre. Elle a dit que tu dois d’abord trouver le Doudou-Philosophale.
— C’est quoi le Doudou-Philosophale ?
Iris n’avait jamais entendu parler d’une telle chose. Elle qui pourtant était moine chouketin depuis presque longtemps maintenant.
— Je ne sais pas, je suis un louveteau de trois mois, estime toi heureuse que j’ai retenu ça.
— Bah, t’es nul, railla une autre tête de louveteau qui venait de se lever, maman, elle a dit qu’il faut chercher dans la province de Al-Chémy.
— Al-Chémy, c’est où ? s’enquit Iris n’avait jamais entendu parler de cette région.
Un troisième louveteau leva la tête :
— Tu t’en fiches de savoir où c’est, tu fais bouger les décors. Pas besoin de connaître leur emplacement !
Une quatrième tête intervint à son tour :
— Tu devras chercher dans la ville de Plomb… Ou alors c’est Or, je m’en souviens plus.
Et le cinquième louveteau trancha :
— C’est la même ville, patate. Dans la province d’Al-Chémy la ville de Plomb se change tous les jours en Or. C’est pourtant clair !