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Le dragon
machine

    Il était un monde… Oui, un monde, aussi vaste et riche que le notre, comptant parmi les innombrables lieux qui peuplent l’immensité de l’univers… Bref, il était un monde engendré et habité par sept Dragons-éléments.

Le premier, Fwyssnir le grand dragon des flammes, insuffle la vie et crée l’énergie. Sa colère est un millier de volcans en éruption, crachant la lave, brûlant tout sur son passage. Il est le feu de la nature rythmant les grands cycles de l’existence. Son sommeil gronde du magma coulant dans les profondeurs du monde.

    Le deuxième, Eslevnir est le majestueux dragon des forêts. Il arbore une merveilleuse robe de feuilles et de fleurs, semant graines et glands au grès des vents. Autour de lui, les landes sont verdoyantes de nature et la faune regorge de vie. Abrité sous ses ailes faites de feuillages, Eslevnir confère la beauté verte nécessaire à la Terre.

    Seofnir, le puissant dragon des mers, coule et glisse dans les sillons et les creux du monde. Sa taille est changeante, s’adaptant à l’espace qu’il peut prendre. Il n’est qu’une anguille dans les ruisseaux et devient plus gigantesque encore qu’un banc de baleines dans les océans. Seofnir s’infiltre dans chaque brèche, chaque fissure de la Terre pour en abreuver les continents.

    Le quatrième, Krisnir est le frère de Seofnir. Il est le froid qui fige l’eau et endort la vie. Son souffle glacial puissant comme l’hiver est la nuit des saisons, le repos nécessaire à toute renaissance. Krisnir est le dragon des glaces, la touche de blanc qui cristallise les pôles du monde et transforme la pluie en neige.

    Véessnir est l’indispensable dragon de l’air. Il est la source des vents, le créateur des tempêtes et des brises. Il véhicule les changements de saison et pousse la vie vers de nouvelles contrées. Il est l’oxygène qui s’insinue dans les êtres vivants pour leur offrir l’élan et le mouvement. Véessnir est en chacun de nous.

    Ihinir le magnifique est le dragon lumière. Briseur de ténèbres, il confère couleur et beauté autour de lui. Brillant comme un soleil, Ihinir vole haut dans le ciel, si haut qu’il côtoie les étoiles. Il est source d’inspiration et confère au vivant la volonté inébranlable de s’élever. Il est celui qui apporte du sens à la vie.

    Le septième et dernier dragon, Nirgraâsh, est le monde qui accueille les six autres. Il est l’être sous la lumière qui porte les océans et les glaciers. Il est les continents où culminent les volcans et verdissent les forêts portées par les vents. Nirgraâsh est la Terre, le gigantesque dragon planète.

    Les énergies combinées des sept dragons créèrent une vie riche et luxuriante. La propagation d’innombrables espèces végétales et animales envahit bientôt les océans et les continents. La faune engendra les Hommes qui, de la pierre au fer, développèrent leurs techniques et leurs cultures. Ils explorèrent le monde et installèrent des colonies sur leur passage. D’un pôle à l’autre, les royaumes des humains ne tardèrent à recouvrir la surface du globe.

Bien que ce monde fût très loin et très différent du notre, les Hommes qui le peuplèrent n’en furent point dissemblables de ceux que nous connaissons. Ils fondèrent des cités, s’organisèrent en hiérarchie, s’approprièrent le sol et ses ressources, se firent la guerre entre communautés, érigèrent des monuments, fondèrent des religions…

    Conscient de ce qu’ils leur devaient, les humains vouèrent de multiples cultes aux Dragons-éléments. Ils construisirent des temples et inventèrent des rituels. Ainsi, pour remercier les Dragons d’avoir créé tant d’abondance, les Hommes sacrifièrent du temps, de l’ouvrage, des récoltes et même des vies. D’une certaine façon, ils rendaient une partie de ce qu’ils avaient prélevé, participant à l’équilibre du monde.

                                                                     *

    Un jour, un puissant roi se tourna vers ce qu’il avait accompli. Son royaume était si vaste qu’il s’étendait tout autour de Nirgraâsh. Tant et si bien qu’on avait pris l’habitude de dire qu’Ihinir ne s’y couchait jamais. Ses ingénieurs avaient récemment inventé des engins capables de s’envoler et le roi tutoya Véessnir. Cela faisait bien longtemps qu’il ne craignait plus l’hiver, laissant Krisnir hors de son palais à la saison froide. Grâce à la navigation, il avait dompté Seofnir et traversait les océans sans peur. Il avait presque réduit Elsevnir en esclavage tant il se servait sans retenue des richesses forestières. Enfin, ses canons n’enviaient rien à la puissance destructrice de Fwyssnir.

Le roi crut qu’il ne lui restait plus rien à accomplir, alors il se prit pour l’égal des dieux. Guidé par sa mégalomanie, il ordonna à son peuple de créer un huitième Dragon-élément qui serait à la hauteur de son règne et de son ambition.

    Les ingénieurs établirent les plans de la bête. Ils entreprirent des recherches qui mobilisèrent la totalité de leurs capacités intellectuelles. Après des mois de travail, ils inventèrent le monstre et le moyen de lui donner vie. Ils le présentèrent devant le roi qui ordonna la fabrication.

Les mineurs creusèrent la terre pour extraire et rassembler les matériaux nécessaires. Du fer, beaucoup de fer, encore du fer. Au fond des galeries, ils puisèrent et s’épuisèrent pour collecter toujours plus de matière. Enfin, il sembla qu’on en ait suffisamment.

    Les forgerons fondirent le métal pour le modeler à leur guise. Ils le martelèrent, puis le chauffèrent de nouveau, et le frappèrent encore. Consciencieusement, ils forgèrent l’acier et façonnèrent les innombrables pièces constituant la bête.

Enfin, les constructeurs assemblèrent les éléments manufacturés. Ils lurent attentivement les plans de fabrication et s’appliquèrent à les suivre à la lettre. Tel un gigantesque puzzle, ils érigèrent ce qu’on considérait comme le plus grand accomplissement de l’Homme. Parties par parties, ils construisirent Mechnir, le dragon machine.

Lors d’une cérémonie exceptionnelle, le roi proclama l’avènement du huitième Dragon-élément. Les ingénieurs l’animèrent en lui donnant le feu, leur feu, notre feu. Le cœur du monstre s’embrasa de ces flammes qui avaient jadis brûlé dans les cavernes et accompagné le développement technique de l’humanité. Mechnir s’ébranla sous l’effet de la combustion. Il bougea une patte, redressa la tête et rugit en sentant la vie s’insuffler en lui.

                                                                      *

    Mechnir fut incontrôlable. Le monstre agit comme s’il se consumait d’une rage destructrice. Dès l’instant de son éveil, il ne cessa d’attaquer ce qui se trouvait autour de lui. Il renversa les murailles, brûla les fermes, tua ceux qui tentaient de l’arrêter. Le royaume fut ravagé en quelques mois.

Fwyssnir le dragon des flammes et du magma s’opposa à Mechnir. Son feu était puissant et pur. Les deux titans se livrèrent une lutte sans merci. Les explosions furent apocalyptiques et le combat sans merci. Mais très vite, le constat fut effroyable. Fwyssnir ne pouvait rien faire contre Mechnir. Son feu pur était aspiré par le dragon machine, nourrissant l’appétit destructeur du monstre. Ce dernier aspira le magma jusqu’à la dernière braise, ne laissant qu’un tas de cendres froides.

    Ainsi rendu plus puissant, Mechnir continua son carnage. Il se tourna alors vers Elsevnir et dévora les forêts du monde. Le dragon vert ne put opposer aucune résistance face au dragon machine. Ses bois constituaient un combustible idéal qui rendirent le destructeur plus fort encore. Mechnir ayant anéanti deux dragons, il ne comptait pas en rester là.

    Le huitième dragon fut prit d’une inextinguible soif qu’il tenta d’apaiser en buvant les océans. Malheureusement, il avait atteint une température si haute que l’eau se changeait en vapeur dès lors qu’elle entrait dans sa gueule. Seofnir essaya de lutter mais il ne put guère faire mieux que ses semblables. Il disparut dans un nuage, laissant un immense désert là où s’étaient trouvées les mers.

    Krisnir essaya bien de venir en aide à son frère. Il était le froid et n’avait jamais craint le moindre feu. Chez lui, au cœur même des terres éternellement gelées, aucune source de chaleur ne tenait bien longtemps. S’il parvenait à attirer le dragon machine sur son territoire de glace, il était persuadé de pouvoir l’arrêter. Il se trompait. Mechnir fit fondre Krisnir qui s’évapora comme Seofnir.

    Le dragon machine dévorait et consumait tout ce qui se trouvait sur son passage. Le cœur de la bête brûlait si fort et si chaud qu’une fumée âcre envahit bientôt les airs. Partout, on étouffait et on toussait. Le monde devint irrespirable. Véessnir souffla de tous ses vent, engendrant la pire des tempêtes que la Terre n’ait jamais connu. Ce fut sans effet. Véessnir ne faisait que déplacer la pollution. Il s’éteignit un jour, étouffé par les émanations de Mechnir.

    La concentration de la vapeur mêlée à la fumée noire assombrit le ciel. La lumière du soleil ne fut bientôt plus capable de descendre jusqu’à la terre. Ihinir descendit dans le nuage noir à la recherche de Mechnir. Il fut piégé par ce dernier, et dévoré sans pitié. Alors, le monde s’éteignit.

Mechnir avait aspiré le feu, dévoré les forêts, bu les océans, fait fondre les glaces, enfumé l’air et assombri le ciel. Il se tourna alors vers l’ultime dragon à qui il réservait le même sort qu’aux six autres. Le combat fut épique entre le dragon monde et le dragon machine. Rien ne résistait cependant à ce dernier.

    Avant de mourir, Nirgraâsh se tourna vers les Hommes et leur demanda :

« Pour quelle raison avez-vous créé le monstre qui nous a tous condamnés ? »

Les mineurs répondirent qu’ils avaient simplement obéi aux ordre. Ils ont fourni le minerai sans savoir à quoi il était destiné. « Les responsables sont ceux qui ont passé commande. » dirent-ils.

    Les forgerons affirmèrent avoir fait leur métier. Ils travaillent le fer tel que leurs clients le désirent. Toutes ces pièces détachées n’avaient aucun sens pour eux. Ils ignoraient à quoi elles pouvaient bien être destinées.

Les constructeurs se défendirent à leur tour en affirmant qu’ils n’avaient fait que suivre les plans qu’on leur avait donnés. Ils accusèrent ceux qui les avaient dessinés.

    Les ingénieurs expliquèrent que le dragon machine était un défi stimulant leur intellect. Ils se dédouanèrent en prétextant qu’ils l’avaient conçu uniquement dans le but de prouver qu’ils en étaient capable.

    Tout le monde se tourna vers le roi. Celui-ci avoua être à l’origine du monstre. Il détailla ses intentions, arguant qu’il n’avait jamais eu la volonté de tout détruire. Le dragon machine n’était à ses yeux qu’un moyen de démontrer son prestige de par le monde.

Mechnir dévora Nirgraâsh et tous sombrèrent dans le néant.

                                                                      *

    Nous sommes tous responsable de nos actions. Celui qui obéit aveuglément s’expose à assumer les conséquences de choix qu’il n’aura pas faits mais pour lesquels il aura activement contribué. Si par malheur notre monde s’effondre, nous en paierons tous le prix fort.

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