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Le loto de Roussac

     Le week-end dernier j’étais à Roussac, un petit village du sud-ouest de la France. Un très bon ami m’avait invité dans la charmante ferme qu’il avait retapée. Il faisait très beau sans qu’on ait trop chaud, on avait passé notre temps à se la couler douce. Cela m’avait fait un bien fou de me reposer quelques jours, bien loin de la vie parisienne.

     J’habitais dans la capitale, un petit appartement rue des Archives. Le contraste était saisissant. Au lieu d’entendre les klaxons, les moteurs des voitures et les cris des gens stressés j’enchaînais les pastis sur un transat en écoutant les oiseaux et le murmure du vent. Ah, mais qu’est ce que je faisais à Paris alors que la belle vie était ici ?

     Le samedi soir, il y eut un loto organisé par le club de rugby de Roussac. C’était tellement pittoresque que j’ai insisté pour qu’on s’y rende. Nous voilà donc partis, mon ami, sa femme, ses deux fils et moi-même pour la salle des fêtes du village. Chaque année, le SR (Sporting Roussac) organisait un loto pour renflouer ses caisses. Les lots étaient des dons des commerçants qui participaient ainsi à l’économie du club de rugby. Cette année, c’était un peu particulier car le club avait été champion de fédérale 3 et montait donc en fédérale 2. Tout le monde avait été plus généreux et les lots offerts avaient attiré plus de monde que d’habitude. En plus des traditionnels paniers garnis et jambons entiers, on pouvait gagner une tondeuse à gazon, plusieurs bouteilles de bons vins, une télévision à écran plat et le gros lot surprise offert par monsieur Cazenave, un paysan du coin.

     On était au début du mois de juin et il faisait beau. C’était une très bonne chose car la salle des fêtes n’aurait jamais pu accueillir tant de monde, on s’était donc installé sur la place de la mairie. Un mot avait été rajouté sur les affiches et nous n’avons pas eu de mal à trouver.

     La dernière fois que j’avais assisté à un loto, je devais avoir douze ans. C’était le loto organisé par l’école primaire de Créteil. A l’époque, je ne me rendais pas compte d’une chose que je trouve aujourd’hui hallucinante : certaines personnes sont de véritables aficionados du loto. Ils se retrouvent à tous les événements et cela chaque année. Ils possèdent leurs propres cartons avec leurs numéros fétiches.

Une estrade était disposée face à plusieurs rangées de tables montées sur des tréteaux. Deux buvettes étaient installées autour des tables, on pouvait y acheter de la bière, des jus de fruit et des crêpes maison. Des barrières délimitaient les lieux. Une entrée était aménagée où l’on pouvait louer des cartons afin de participer au jeu. Un pour cinq euros, trois pour douze ou encore six pour vingt. J’en pris douze qu’on se partagea entre nous. Ce soir, il y avait plus de deux mille cinq cent personnes attablées sur la place de la mairie, face à des cartons imprimés.

     Un petit bonhomme rondouillard s’installa sur l’estrade et fit tourner la sphère contenant les numéros. Il attrapa la petite boule qui tomba et lut : 52. Les règles étaient simples. Chaque carton était imprimé de trois séries de cinq nombres, chacun sur une ligne. Si tous les nombres d’une ligne sortaient, on avait une quine, pour deux lignes une double quine et enfin si on avait tous les numéro imprimés c’était le carton plein. Les lots avaient tous une valeur différente, ainsi, on les jouait à la quine, la double quine ou au carton.

     Au début, mes amis et moi-même buvions et discutions. Nous n’étions pas trop concentrés dans le jeu, conseillant les enfants sur d’éventuelles stratégies. Nous rigolions bien, mais très vite, le silence fut demandé dans l’assistance. Les gens présents n’étaient pas là pour plaisanter ! Alors nous commençâmes à jouer sérieusement et même à désirer certains lots. Une bouteille Saint-Emilion 1998, sympa, on aurait pu la boire en rentrant. Un panier garni de canard gras offert par l’épicerie de Roussac, parfait pour le repas de demain midi. Un demi-cochon, presque, il me manquait un seul numéro pour avoir le carton plein.

     On joua enfin le gros lot, offert par monsieur Cazenave, éleveur de la région. Le lot était une surprise mais tout le monde le voulait. J’entendis que deux ans auparavant, ce même monsieur avait offert un voyage en Turquie comme lot surprise, une année il s’était engagé à fournir le gagnant en lait pour les cinq années à venir. Ce soir, on spéculait beaucoup sur ce qu’il avait apporté. Les numéros furent annoncés : 23, 11, 07, 92, 66… je les avais tous, et ça continuait : 54, 86, 03, 02, 18, 75, 15, 43, 88… 34. Carton plein ! Je me levai en hurlant. On vint vérifier mon carton, c’était bon. On m’invita à monter sur l’estrade où je rencontrai ce monsieur Cazenave. Je lui serrai la main et il descendit chercher mon lot. Deux minutes plus tard, il réapparut sur la scène et je crus que j’allais m’évanouir. Il tirait derrière lui une vache laitière de sept cents kilos.

Je venais vraiment de gagner le gros lot !

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