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Le signe du panda

    Parfois, on est prévenu à l’avance des pires catastrophes par des moyens si détournés qu’on ne pense pas à en tirer les conclusions adéquates. On refuse de concevoir les conséquences de nos actes, même si on se doute bien qu’elles ne seront pas positives. On se laisse aveugler par le profit ou l’orgueil, mais quelque-part, on sait qu’il y a un risque. Il arrive aussi qu’on reconnaisse les abus de notre comportement. On le sait tous, la surproduction industrielle pollue notre planète, produisant de plus en plus de gaz à effet de serre ce qui modifie nos conditions de vie sur la Terre. De là, on en a déduit que notre planète pourrait bien devenir inhospitalière dans un avenir plus ou moins lointain. On sait que la multiplication de centrales nucléaires dans le monde couplée à l’idée de rendement ne font pas bon ménage. Certains mettent en avant les risques d’holocauste. L’esprit créateur et destructeur de l’homme reste une crédible possibilité de fin du monde, scénario d’une troisième guerre mondiale et d’une arme nouvelle trop puissante, trop dangereuse. Toutes ces éventualités ne choquent plus. Il y en a même certains qui l’attendent avec un air de dire « je vous avais prévenus ». C’est ça le problème, nous n’avons pas été préparés à ce qu’il est advenu. Ce qui s’est passé, personne ne l’a vu venir et on ne se l’explique toujours pas. Il y eut bien sûr quelques présages, mais ils étaient trop éloignés de la réalité économique pour qu’on les ait pris au sérieux.

 

    Le professeur Leis Raule est spécialisé dans l’observation et l’étude des pandas géants. Professeur étant un titre asexué car Leis Raule est une femme. Elle est originaire de la région de Canberra, dans le sud-est de l’Australie. Elle s’était passionnée pour ces grands ursidés noir et blanc lors d’un voyage universitaire dans le Sichuan. Depuis, elle n’avait quitté la Chine que rarement et principalement pour faire des conférences sur le mode de vie et sur les difficultés qu’avaient les pandas à se reproduire. Elle avait aussi détaillé toutes ces complications reproductives dans plusieurs ouvrages qui font référence dans la profession. Bien que l’exercice soit réducteur, on peut résumer ses travaux en ces quelques lignes :

    Les pandas passent le plus clair de leur temps à mastiquer les tiges de bambou dont ils se nourrissent principalement. Ils ont un estomac qui digère très mal les végétaux et peuvent passer jusqu'à quatorze heures par jour à mâcher. Ce qui leur laisse peu de temps pour songer à autre chose. Ils atteignent leur maturité sexuelle à l’âge de cinq ou six ans et ont une période de reproduction très courte, seulement quelques jours dans l’année. Comme si cela ne suffisait pas à freiner la propagation de l’espèce, la femelle donne généralement naissance à un, deux ou trois petits, mais elle ne s’occupera que d’un seul et délaisse les autres qui meurent en quelques jours.

    Avec le temps, Le professeur Leis Raule a aussi observé que les pandas devenaient de plus en plus fainéants, comme si l’espèce se laissait mourir d’elle-même. Enfin, un dernier facteur de l’appauvrissement des naissances concerne le développement industriel des régions peuplées par les pandas. En effet, depuis ces trente dernières années, la Chine s’est dotée d’un véritable arsenal d’usines chimiques très polluantes dans des zones qui étaient agricoles ou sauvages. Ce phénomène a des effets encore plus désastreux sur la reproduction de l’espèce. En effet, même lorsqu’ils ne se refusent pas à l’acte sexuel, on remarque une infertilité grandissante chez les mâles comme chez les femelles. Cette ultime raison a fait l’objet d’un best seller qui a ému la population mondiale et propulsé le professeur Leis Raule en tête des spécialistes de la reproduction animale.

 

    A partir de cette découverte d’infertilité biologique chez le panda, tout s’est finalement enchaîné très vite. Il y eut tout d’abord une série de conférences dans le monde sur le sujet. L’objectif fut de faire prendre conscience du problème à la population terrestre. Ensuite on a fait signer des pétitions à des millions de gens. Ces pétitions ont été envoyées aux industriels et aux gouvernements concernés. Ces derniers se sont moqués du professeur Leis Raule et de ses pandas. Une espèce en voie d’extinction n’a jamais empêché ni le progrès ni la croissance. Cela n’allait pas commencer aujourd’hui.

    Le problème a alors commencé à se généraliser au monde entier. Les pandas ne se reproduisaient plus. Les zoos de New York, Londres, Paris ou Rio de Janeiro firent tour à tour appel aux lumières du professeur Raule. En captivité, le panda est un animal qui a toujours eu beaucoup de mal à s’accoupler. Mais là, tous les moyens connus étaient devenus inopérants. On était sur le point d’assister à la disparition de l’espèce sans véritablement en comprendre les raisons. Certains scientifiques avançaient des théories farfelues, expliquant que le panda avait décidé d’abandonner la lutte de la survie. L’espèce ne s’était pas adaptée à son nouveau mode de vie et programmait elle-même son extinction.

 

    Par la suite, le problème prit une toute autre dimension. De nombreux zoologistes et spécialistes d’animaux en tous genres, contactèrent le professeur Leis Raule pour lui faire part d’observations similaires dans leurs études. De plus en plus d’animaux sauvages étaient victimes des mêmes soucis d’infertilité. Les ours blanc, les loups, les guépards, les hippopotames, les manchots ou encore les wapitis furent autant d’espèces recensées, atteintes des mêmes symptômes que le panda. Les conférences se sont multipliées, les pétitions aussi. Mais rien ne devait bousculer l’ordre économique.

    Leis Raule et ses équipes de chercheurs n’arrivaient toujours pas à identifier l’origine du problème. Elle s’était entourée de biologistes, de chimistes, de généticiens qui cherchaient sans succès. Et pendant qu’on ne trouvait pas de solution, le phénomène grandissait.

    La cause menée par le professeur était populaire dans le monde. Nombreux soutenaient son action. D’autres critiquaient, tout est toujours fonction de l’intérêt. Néanmoins, personne ne se doutait de ce qui allait suivre.

Les premiers agriculteurs, éleveurs de bétail, signalèrent des problèmes d’infertilité au sein de leurs élevages. En quelques années seulement, on fit le constat que plus de la moitié des espèces recensées sur la planète étaient touchées par le syndrome de Raule. Et cette généralisation n’en était qu’au début, car en peu de temps, elle toucha la totalité de la planète.

    Le syndrome de Raule avait réussi à toucher le vivant dans son ensemble sans qu’on n’arrive à en identifier la cause. Les naissances devinrent de plus en plus rares. Même les plantes cessèrent de proliférer. Certaines compagnies chimiques et agricoles furent montrées du doigt. Leurs dirigeants furent jugés pour crime contre la planète, mais cela ne régla aucunement le problème. Nous nous dirigions droit vers ce que nous sommes actuellement : la dernière génération de l’espèce humaine.

 

Le dernier être vivant à avoir donné naissance s’appelle Léa, c’est une guenon chimpanzé, il y a douze ans aujourd’hui. Les seules plantes capables de pousser sont des souches transgéniques infertiles. Le monde s’éteint lentement, sans fracas, sans souffrance.

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