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Ninja Chouket et le Mange-doudou
Chapitre 7
A l’aube et au crépuscule, Plomb se change en Or et Or en Plomb. La prestigieuse cité de la province d’Al-Chemy suivait le cours des transformations au fil des jours. Mais ces derniers temps, une rouille grisâtre et terne s’emparait lentement de la ville aux deux noms. Une ambiance de peur régnait dans les rues achalandées. Et, l’omniprésence ostentatoire de divers monstres en tous genres augmentait sensiblement l’insécurité ambiante.
Iris déambulait sans trop savoir où aller. Elle était accompagnée de la brigade de surveillance : Tigrounou et Le Fennec. Pour l’instant, l’enquête ne progressait pas. Ils n’avaient aucune idée de l’endroit où pouvait se trouver le Doudou-Philosophale. Mais, Ninja chouket était enthousiaste et persévérante. Alors elle continuait d’arpenter les rues d’Or (rouillée) en espérant un heureux hasard. Il s’agissait évidemment d’une technique d’investigation mise au point par les ancestraux moines chouketins. Contre toute attente, aucun résultat ne tomba du ciel. Le Fennec prit la parole :
— Et si on allait rencontrer le Sultan, peut-être qu’il sait où se trouve le Doudou-Philosophale ?
— Bonne idée, Le Fennec ! On tourne en rond pour l’instant. La méthode de recherche est bonne mais j’ai oublié ma tenue d’exploratrice.
— Si on va voir le Sultan, il te faudra ta tenue d’interrogatrice, précisa judicieusement Tigrounou.
— Non, je suis un ninja !
Iris fila en courant vers le palais du Sultan en criant « Ninja ! » tous les deux mètres.
Gestion des décors… Pouf : la grande salle des Coussins du palais d’Or (c’est tout de même plus rapide comme ça qu’à la course à pied).
Iris le petit ninja rose, Tigrounou le tigre blanc et gris ainsi que Le Fennec petit renard blanc étaient justement reçus par le Sultan en personne. Gros et rond, le monarque affalé sur son pouf évoquait une bille de plomb enfoncée dans un coussin.
— Que voulez-vous, marchand de doudou ? Abuser du temps du Sultan ? J’attends !
Le bonhomme était oppressant.
— Je suis pas marchande de doudou, je suis Ninja Chouket ! répondit-Iris de sa petite voix perçante.
— Très bien, de toute façon l’esclavage va bientôt être aboli et je n’achète plus de doudous. Encore moins les tigres blancs, mais pour le renard… je suis prêt à mettre un bon prix. Combien pour le renard ?
Le Sultan était condescendant.
— Je ne suis pas marchande de doudou et le renard n’est pas à vendre !
— Très bien, c’est d’accord. Mais alors, pourquoi es-tu ici, si tu ne vends pas de doudou ?
Le Sultan était contrarié.
— Je cherche le Doudou-philosophale, lâcha Iris telle une bombe de silence.
Le Sultan se figea un instant sur son pouf. Il porta finalement sa main au menton et dit d’un air vaniteux :
— Très bien, si tu comptes jusqu’à dix-huit, je te dirai où il se trouve.
Rien de plus facile me répondrez-vous. Mais, pour une fillette de trois ans (et demi) qui ne sais compter que jusqu’à quatorze la mission s’élevait momentanément au niveau de l’impossible. Le Sultan était au courant des connaissances d’Iris en matière de comptage. Il savait qu’elle ne pourrait pas répondre et il s’amusa beaucoup de cette situation. Il se mit à glousser bruyamment tout en se désopilant sur son coussin.
— Si tu veux, je peux te poser une autre énigme. Combien de pattes faut-il à un lapin pour en casser trois à un canard ?
Le rond monarque explosa d’un rire idiot devant l’absurdité de ses propos. Et, alors que ses yeux fixaient un point quelconque du plafond, Le Fennec eut une idée. Il se plaça derrière la fillette ninja rose bonbon et récita à toute vitesse : « 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 ! »
Si vite que le Sultan réagit trop tard :
— Quoi ? C’est pas possible, tu ne sais compter que jusqu’à 14 ! C’est pas toi qui as compté.
— Et qui veux-tu que ce soit ? Les doudous ? demanda Iris effrontée.
— Très bien, alors refais-le si c’était toi !
Le Sultan refusait de la croire.
— Non ! J’ai compté jusqu’à 18, maintenant c’est à toi de tenir ta parole !
Finalement, le Sultan tint parole. Il indiqua à notre joyeuse bande l’endroit où se trouve le Doudou-Philosophale. En réalité, son emplacement était tellement évident que Le Fennec se frappa le front de sa patte mignonne en se demandant :
— Mais comment n’y ai-je pas pensé tout seul ?
Et voilà donc notre ninja et ses deux gardes-doudou à l’entrée du très grand et très, très imposant Temple du Doudou-Philosophale (oui, il s’appelle bien comme ça). Il eût été effectivement plus simple d’investiguer directement dans ce coin de la ville. Mais cela aurait évité à nos trois amis l’agréable rencontre avec le Sultan et certainement à ce dernier d’alerter tous les monstres de la région sur la présence de Ninja Chouket à Plomb (si, si, la ville a déjà changé. Et puis on pourrait l’appeler Rouille vu son aspect actuel).
Iris, Tigrounou et Le Fennec étaient dans le grand temple aux parois gris sombre comme le plomb (et avec pas mal de rouille dans les coins). Ils se tenaient tous trois face à une lourde porte close et cherchaient autour d’eux un moyen de l’ouvrir.
Sur le côté, un étrange tableau de bord semblait avoir un certain rapport avec la porte. Au dessus, une grande fresque colorée indiquait le fonctionnement du panneau de contrôle. Plusieurs volumes géométriques simples s’encastraient à l’intérieur d’écrins prévus à cet effet. Quatre ouvertures de formes différentes se succédaient : une carrée, une ronde, une triangulaire et enfin, la dernière en forme d’étoile. Sur le sol, au pied de la machine, quatre objets manufacturés semblaient correspondre avec les trous.
— Je crois que j’ai déjà vu ça quelque-part, remarqua Iris ninja en observant le tableau de bord. Mais, je ne me souviens pas où et je n’ai aucune idée de son fonctionnement.
— Tu rigoles j’espère ? Tu as un jouet similaire dans ta chambre depuis au moins deux ans ! remarqua Le Fennec qui s’emporta un peu.
Il se sentait oppressé dans cet endroit. Et il avait raison…
Derrière nos trois personnages, une horde de monstres tous plus différents (moches) les uns que les autres entrait lentement par la porte du temple. Il n’y avait pas d’autre issue et leur démarche lente attestait de l’assurance dont les horreurs faisaient preuve.
— Vite, Ninja ! Il faut que tu trouves le code pour ouvrir la porte ! ordonna Le Fennec.
— Je… je ne sais pas… je ne sais pas comment ça marche.
En réalité, Iris avait déjà résolu des problèmes bien plus complexes (bien plus ?). Mais la présence des monstres perturbait notre ninja rose.
— Je vais les retenir ! Aide la, Fennec ! s’écria Tigrounou en s’élançant d’un bond vers la horde effrayante. Graoow, graoow !
— Vite, Ninja, concentre-toi. Tu dois ouvrir cette porte !
— M… mais je sais plus comment on fait.
La peur était en train de s’emparer de l’esprit de la petite fille.
— Bon ! Si je fais tout, on va changer le titre du livre (suggestion spontanée du personnage : Le Fennec. Non ? Bon, tant pis). Reprends-toi, Iris ! Ne te laisse pas envahir par la peur. Sinon, tu vas te réveiller et le Mange-Doudou aura gagné. Il faut pas lui laisser le Doudou-Philosophale !
— D’accord, tu as raison.
Iris tentait de se concentrer sur les formes géométriques qui gisaient au sol. Pendant ce temps, Tigrounou fut submergé et les premiers croque-mitaines reprirent leur inexorable marche vers la petite fille.
— Ne laisse-pas le cauchemar t’envahir ! Concentre-toi sur les volumes !
La fillette saisit le cube sur le sol et essaya un à un : le cercle, le triangle et le carré. Un de bon ! Mais les monstres se rapprochaient.
Elle prit le cylindre qu’elle entra du premier coup dans le bon réceptacle.
— J’ai compris ! s’écria-t-elle, ninja !
Et elle plaça les deux autres objets à l’endroit qui correspondait.
La grande porte du fond du temple s’ouvrit lentement…
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