
Vol spatial
Le "Rivière II" était arrimé à la station spatiale depuis près de deux jours. La révision d’entretien avait été effectuée avec succès et le giga-conteneur chargé. Le second vaisseau de la spatio-postale était sur le point de quitter la Terre pour délivrer ses messages à l’autre bout de l’univers. A bord, l’équipage réglait les derniers détails. On était un peu inquiet car des rumeurs annonçaient un orage galactique d’une rare puissance. La compagnie Rivière faisait la navette postale entre la Terre et une colonie spatiale nommée Prince. La distance se comptait en dizaines d’années lumières. Un voyage qui ne prenait que neuf jours grâce à la découverte des propulseurs de dernière génération. Avant cela, on mettait plus de huis mois pour rejoindre les plus proches colonies. Ces toutes nouvelles technologies venaient de révolutionner la navigation spatiale. Une avancée qu’on pouvait comparer à la découverte de l’aviation au début du vingtième siècle. A l’époque, la traversée de l’atlantique prenait plusieurs mois en navire, et était devenue un voyage de quelques heures en avion.
La station dérivait en orbite terrestre, juste au dessus de l’Argentine. Au centre de contrôle, le capitaine Fabien prenait les dernières informations concernant le vol. L’orage galactique n’était pas encore formé sur le chemin que Rivière II allait emprunter, mais les données montraient qu’il y avait de fortes chances pour qu’ils le traversent pendant le voyage. De toutes façon, le capitaine savait qu’aucun élément, si grave ou dangereux soit-il, ne perturberait le départ d’un vaisseau de la compagnie. Rivière était trop petite pour concurrencer les sociétés de transports traditionnelles. Mais, elle était la seule à utiliser les vaisseaux de dernière génération. Un risque qui lui conférait un atout non négligeable dans cette course à l’information. Par souci de concurrence, les quatre vaisseaux de la compagnie ne souffraient jamais d’aucun retard, quelle qu’en soit la raison.
Le capitaine Fabien prit son plan de vol et se dirigea vers le vaisseau, le départ était prévu dans deux heures.
L’équipage du Rivière II était réuni dans la salle de briefing. Le capitaine expliquait à ses hommes les dangers qui les guettaient. Le risque d’orage galactique était très élevé, il ne s’agissait pas de blaguer avec le protocole d’entretien technique. Il fallait aussi respecter les quarts de travail à la lettre afin que tout le monde soit en forme et opérationnel au moment où l’orage aurait le plus de probabilité de croiser la route du vaisseau. L’équipage d’un transporteur aussi immense que le Rivière II n’était constitué que de sept agents. Deux pilotes, le capitaine épaulé de son second. Un surveillant au radar qui pouvait être remplacé par un des pilotes durant ses repos. Quatre ingénieurs se relayaient pour contrôler le bon fonctionnement de l’appareil et pouvaient opérer quelques réparations d’urgence. Sept personnes qui avaient la responsabilité d’acheminer les kilotonnes de courriers et colis entre la Terre et la colonie Prince.
Les trois premiers jours furent paisibles à bord du Rivière II. A l’intérieur de cette zone, les communications vers la Terre étaient encore possible. Au delà, durant les trois jours suivants, il n’était possible de communiquer ni avec la Terre ni avec Prince. On devait impérativement attendre le septième jour pour pouvoir contacter la station spatiale de la colonie. On passait trois jours dans l’incertitude et le néant. Depuis la Terre, les derniers messages n’étaient que des mauvaises nouvelles. L’orage fonçait droit sur le vaisseau. La rencontre était prévue pour le jour cinq aux alentours de 15h30. Les prévisions étaient alarmantes, la tempête était d’une puissance encore jamais constatée par les appareils de mesure. L’équipage du Rivière II se prépara pour le pire.
Au quatrième jour, les bases étaient hors de portée, on ne savait rien sur l’évolution de la météo dans l’univers. Seul le radar du vaisseau pouvait encore repérer l’orage galactique. Malheureusement, son rayon d’action était très court, trop court pour réaliser une manœuvre d’évitement à temps. A l’instant où on repérerait la tempête elle serait quasiment sur le transporteur. L’équipage au complet analysait minutieusement les moindres signaux qui apparaissaient à l’écran.
Au cinquième jour, tout était encore calme. Tout le monde restait concentré et attentif. En fin de journée, vers 19h, on commença à espérer que l’orage soit passé ailleurs. Le capitaine Fabien ordonna que les repos ne soient que partiels afin que chacun reste prompt à réagir en cas d’alerte. Le jeune pilotait calmement le Rivière II, masquant son inquiétude.
Au matin du sixième jour, aucun danger n’avait encore fait son apparition. L’espoir de ne pas avoir à affronter la tempête annoncée grandissait dans le cœur de chacun. Toutefois, le capitaine Fabien avait demandé à l’équipage de rester vigilant. Aucune communication ne pouvait encore venir de la Terre ou de Prince, personne ne pouvait encore les prévenir d’un éventuel danger.
Soudain, le radar s’agita. Il ne s’agit d’abord que d’une brume spatiale, mais très vite la tempête se forma et le vaisseau se retrouva rapidement secoué par le terrible orage. Le Rivière II fut ballotté de tous bords. L’imposant titan long d’un kilomètre deux cent n’était plus qu’une coque de noix dans l’océan. A l’intérieur, on gardait le cap tant bien que mal. Le capitaine Fabien pilotait son vaisseau à l’aveugle. Les voyants étaient tous faussés, affichant des informations aléatoires. Les alarmes signalaient de multiples avaries sur le bâtiment. L’équipe d’ingénieur s’affairait aux quatre coins du Rivière II pour le maintenir en fonctionnement.
Dans un grand fracas, un éclair spatial frappa la coque.
Tout le septième jour durant, l’opérateur de la station spatiale en orbite autour de Prince avait envoyé des messages adressés au Rivière II. En vain, il avait attendu une réponse. Il était 19h20, et toujours aucune trace du vaisseau spatial. L’opérateur perdit espoir, il transmit son rapport à ses supérieurs.
Le Rivière II ainsi que son équipage étaient portés disparu. En quittant la salle de contrôle, l’opérateur eut une pensée qui lui fit l’effet d’un vertige. Aujourd’hui, on traversait l’espace en quelques jours mais les vaisseaux ultra modernes ne valaient pas mieux que les coucous de l’aéropostale des années 1930. Et les équipages étaient comme ces pilotes d’autrefois qui disparaissaient parfois lors des vols de nuit.